Géothermie profonde : pourquoi des avis différents
« Chacun peut comprendre le mécontentement des promoteurs de la géothermie profonde fac aux avis défavorables des rapports faisant suite aux enquêtes publiques. Mais il ne faudrait pas ajouter la désinformation du public au manque d’information souligné par l’ensemble des enquêteurs.
Les enquêtes publiques ne sont pas le cadre de la concertation. Un dossier très technique de près de 600 pages mis à la disposition du public pendant l’enquête (pour la Robertsau, mais semblable pour les autres sites) ne peut être considéré comme une concertation. Voi i des extraits du rapport de l’un des enquêteurs :
“Compte tenu de la complexité technique du projet, je considère que le contenu du dossier soumis à l’enquête ne peut légitimement satisfaire tout public.
Il n’en demeure pas moins, au vu des observations formulées par le public et ma propre analyse, que certains volets de ce dossier sont abordés trop succinctement. Ce manque de concertation préalable ou d’approche démocratique écarte de fait toute association des citoyens aux décisions qui les concernaient’’.
«Une méconnaissance du sujet »
Les enquêteurs ont tous souligné l’absence de réunions d’information, à défaut de concertation, avant et pendant les enquêtes. Ni l’Eurometropole, ni la Ville de Strasbourg, ni les services de l’État, n’ont jugé
utile de rencontrer les citoyens pour leur expliquer les projets et répondre à leurs questionnements.
Prétendre que le « Comité consultatif » mis en place par l’Eurometropole, réservé aux élus et à quelques représentants d’associations, qui n’avaient qu’un droit très limité à la parole, ait répondu à cette demande de concertation, n’est pas recevable.
Il n’y a aucun quiproquo à ce sujet. De plus, vouloir comparer les projets dans l’Eurometropole à ceux de la région parisienne ou de l’Islande, qui présentent une géologie du sous-sol totalement différente de celle de la vallée rhénane, relève au minimum d’une méconnaissance du sujet.
L’article L. 122-1-II du code de l’environnement stipule : “Lorsque ces projets concourent à la réalisation d’un même programme de travaux, d’aménagements ou d’ouvrages et lorsque ces projets sont réalisés de manière simultanée, l’étude d’impact doit porter sur l’ensemble du programme.
Lorsque la réalisation est échelonnée dans le temps, l’étude d’impact de chacun des projets doit comporter une appréciation des impacts de l’ensemble du programme’’.
Comme le souligne M. Riguet, il y a eu un permis de recherche global portant sur tout le territoire et les documents soumis par les pétitionnaires mentionnent un projet de maillage global et cohérent de l’agglomération. Il s’agit donc bien d’un même programme de travaux, et les textes sont très clairs sur la nécessité d’une enquête globale.
La Cour de justice européenne, en date du 11 février 2015, a pris un arrêté identique dans un cadre similaire de projets de forages.
Les réserves des commissaires enquêteurs ne concernent pas uniquement la localisation des projets. Tous reprennent l’idée évoquée par les scientifiques, “la technique de la géothermie profonde n’est pas mature.’’
Relevons quelques observations des rapports d’enquête :
“Même si le pétitionnaire assure que toutes les dispositions sont prises pour éviter tout contact entre le liquide géothermal (chargé de saumure et radioactif) et la nappe, le risque de rupture d’un tubage suite à une importante sismicité n’est pas à exclure. Au vu des observations recueillies au cours de l’enquête, ces mesures ne sont pas de nature à rassurer la population. Malgré toutes les mesures de sécurité prises pour la préservation de la nappe phréatique, notamment en ce qui concerne l’infrastructure des puits de forage qui est censée répondre à tout événement imprévu (séisme, microséisme, corrosion, infiltration de produit divers, etc.), le risque de pollution ne peut pas être exclu.
Compte tenu des nombreuses incertitudes sur la nature exacte des couches géologiques à de telles profondeurs, je considère que le principe de précaution doit donc prévaloir – malgré toutes les mesures de sécurité prises pour la préservation de la nappe’’.
D’autres observations relèvent
- du traitement chimique dans les fractures aquifères
- du prix de la chaleur vendue
- des tracés des réseaux de chaleur, souvent inconnus
- de la méconnaissance détaillée de la géologie du sous-sol à de telles profondeurs
- de l’imprécision de la question des assurances
- des risques sismiques et technologiques en général
- des imprécisions, voire erreurs, dans les dossiers d’enquête publique.
“La géothermie n’est pas une technique diabolique’’, précise M. Riguet. C’est exact, mais c’est une technique qui nécessite encore de nombreuses mises au point pour être mise en œuvre en toute sécurité dans un sous-sol comme celui de la vallée rhénane. Le rapport du projet d’études transfrontalier
GEORG permet “de mettre en exergue le manque de données de perméabilité des réservoirs qui permettraient de prévoir les débits attendus lors de la réalisation d’un doublet géothermique’’ sur le territoire de l’Eurométropole.
Nulle part dans un contexte géologique similaire, cette technique n’a été mise en œuvre avec succès. Aux USA, plusieurs études montrent que la pollution des nappes phréatiques apparaît quelques années après la construction des forages, les têtes de puits laissant passer le liquide en circulation. Le nombre de séismes est en forte augmentation dans les régions où l’eau est renvoyée au fond des puits après pompage.
L’intérêt général invoqué ne saurait obliger les citoyens à accepter des risques incontrôlés qui présentent un danger pour leur alimentation pérenne en eau potable.
L’intérêt général des habitants de la vallée du Rhin supérieure à préserver leur ressource en eau dépasse largement celui d’un forage géothermique dont la production énergétique est marginale par rapport aux besoins. »
Jean-Daniel Braun