Histoire du quartier du Tivoli à Strasbourg
I. De la nuit des temps au 19ème siècle
Ce petit quartier, habité par cent cinquante familles environ, situé au nord de Strasbourg, juste avant le Wacken puis la Robertsau, se trouve actuellement cerné de grandes institutions prestigieuses. Ainsi au nord, le Conseil Régional, le Rhénus, le parc des expositions, le Maillon, au nord-est le Parlement Européen, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le Conseil de l’Europe, à l’est Arte, au sud les bâtiments de France 3 et à l’Ouest le Palais des Congrès. Associé dans cette même enceinte à la Cité Ungemach, le quartier du Tivoli bénéficie ainsi d’un ensemble de rem- parts prestigieux. On songe même à les renforcer par la création d’un quartier d’affaires, par l’agrandissement du Palais des Congrès et par la construction d’un nouveau parc des expositions à l’ouest.
De l’avis de tous, le quartier – malgré la proximité du centre ville – bénéficie d’un environnement très agréable, traversé par une rivière, l’Aar, bénéficiant d’un joli parc et présentant des maisons construites pour la plupart au début du siècle dernier, d’une architecture avenante.
Mais venons-en aux origines.
Comme le rappelle Eric STUMM, l’historien du quartier, jusqu’au Moyen-Age l’endroit est manifestement sauvage avec une ambiance de commencement du monde, un entre- lacs de bras d’eau non loin de la confluence entre le Rhin, l’Ill, la Bruche et – à l’est – la Kinzig, des marécages, des bancs de terre voyageant au gré des crues, des moustiques…
Nous sommes alors loin des murailles de Strasbourg qui s’élargissent néanmoins amplement entre le 12ème et le 15ème siècle. A la même époque, le Strasbourgeois ressent l’impérieuse nécessité de lutter contre les crues du Rhin, de le canaliser, ce qui a permis d’assainir le secteur par la construction de digues, de chéneaux d’évacuation et par la suppression de certains bras d’eau. Une végétation beaucoup plus stable se développe dans le secteur, qui deviendra un espace boisé. Les cours d’eau le parcourant accueilleront différentes familles d’échassiers, d’où vraisemblablement l’appellation originaire d’ « Ile Jars ».
Entre les 16ème et 17ème siècles, on voit l’installation à l’endroit actuel du Parc des Contades, du lieu d’entraînement de la confrérie des arquebusiers et des tireurs dénommé Schiessrain, l’Ile Jars en constituait le prolongement naturel.
En 1714 naît la première construction sur l’Ile Jars, celle réalisée par Antoine d’Andlau et son épouse Marianne Klinglin, appelée le château de l’Ile Jars.
Le 18ème siècle, c’est la période la plus prestigieuse du quartier. Les nobles, propriétaires ou occupants du château, parmi lesquels le Maréchal de Coigny puis le Marquis de Contades, eurent suffisamment d’influence pour accueillir l’intelligentsia française, tel Voltaire en 1753 qui a donné son nom à une des rues du quartier, et Jean-Jacques Rousseau, aperçu là en 1765.
Oserions-nous dire qu’à Strasbourg, devenue française depuis 1681, au goût de la fête doit être associé celui de la gastronomie ?
Nous en aurions un exemple au Tivoli puisqu’à cet endroit, le plat gastronomique français par excellence y est né : nous voulons parler du foie gras.
En 1778, le Marquis de Contades a embauché un jeune chef cuisinier, Jean-Pierre Clause, et a exigé de lui une cuisine résolument française. Clause s’exécuta et confectionna une croûte ronde, farcie de foie gras entier, complétée de farce de veau et de lard, le tout recouvert d’un couvercle et mis au four à feu doux. Ce fut un succès, une acclamation parvenue très vite aux oreilles du roi Louis XVI et du célèbre Brillat-Savarin. Jean-Pierre Clause poursuivit par la suite sa carrière de producteur de foie gras rue de la Mésange à Strasbourg.
Il demeure que nous pouvons affirmer, sans la moindre forfanterie, que le foie gras est bien né au Tivoli !
C’est à la même époque que le Maréchal de Contades a fait aménager un ensemble de parcs-promenades entre le parc des Contades, qui porte bien entendu son nom, et le Tivoli, encore enrichi au 19ème siècle par les initiatives du maire de Strasbourg Frédéric Schutzenberger.
A proximité immédiate l’activité maraîchère se développe à la Robertsau, mais aussi à l’emplacement de l’actuel Palais des Congrès. Entre les deux, l’île du Wacken voit se développer une importante activité industrielle, due à la présence de rivières et à la possibilité d’aménager des chutes d’eau. Déjà, en 1726, un moulin à papier, propriété de Louis-François Rousselot, est autorisé à s’y implanter.
En 1739, le Baron Louis Beyerle, directeur de la monnaie à Strasbourg, a obtenu l’autorisation d’y établir un atelier d’affinage de métaux précieux. Puis l’on vit s’installer une industrie de produits chimiques, la raffinerie alsacienne de sucre, ensemble avec la tannerie Herrenschmidt et les constructeurs de bateaux Pauli et Kientz. Finalement au 20ème siècle, on y créa un parc d’exposition.
Quant au quartier du Tivoli, désormais séparé du parc des Contades par la construction – au 19ème siècle – des nouvelles enceintes de la ville, il soignera jusqu’au milieu du 20ème siècle sa vocation de parc de loisirs, rapidement complété entre les années 1900-1920 d’une zone d’habitation sur laquelle nous reviendrons.
Carte du siège de Strasbourg du 8 août au 28 septembre 1870
II. Le Tivoli du 19ème siècle à nos jours
Dans notre précédent article, nous avons laissé le Tivoli au courant du 19ème siècle, ayant l’aspect d’un grand parc de promenade conjugué avec le parc des Contades. Durant la première partie du 19ème siècle, le maire Frédéric Schutzenberger a engagé une grande campagne de plantations d’arbres destinée à réaménager les parcs du Wacken, des Contades et de l’Orangerie. Dans ce cadre, le parc des Contades et de l’Ile Jars forment un bel ensemble d’espaces verts aménagés et très prisés par les Strasbourgeois, comme nous le rappelle Eric Stumm dans son livre consacré au Tivoli.
Citons à ce sujet la relation qu’en fait Frédéric Piton en 1855 :
« Quittant la porte des juifs après avoir dépassé les glacis de la ville, nous arrivons par le rond-point dans les jardins à droite et à gauche de la chaussée. Un chemin bordé de peupliers conduit vers Schiltigheim, en face une double allée nous mène à l’auberge du Schiessrain et vis-à-vis au Jardin Lips ; il y a sur la place beaucoup d’animation, des messieurs en redingote en conversation avec des dames élégantes en robes à crinoline, bien d’époque, accompagnées de leurs enfants ; dans la foule, des officiers de la garnison en uniforme de sortie ne passent pas inaperçus. En poursuivant nous arrivons au Jardin Kammerer où le chemin se termine par une haute charmille. Plus loin à gauche, le long d’un bras de la Bruche (l’Aar), à la limite de la séparation entre Contades et Ile Jars un beau café avec balcon appelé café d’été ; un bain en fait partie assidûment fréquenté durant la belle saison. En face nous apercevons au fond de son parc le château de l’Ile Jars. »
La guerre est déclarée entre l’Allemagne et la France le 19 juillet 1870. Après la capitulation, le 27 septembre 1870, les troupes allemandes entrent dans Strasbourg. L’administration allemande revoit entièrement l’urbanisme de la ville et bien entendu ses fortifications.
C’est ainsi qu’à partir de 1876, de nouvelles fortifications sont construites selon les plans du Maréchal Moltke et séparent ainsi pour la première fois le secteur de l’Ile Jars du parc des Contades, enfermé désormais derrière la volumineuse porte de Schiltigheim.
Durant la guerre de 1870, le château de l’Ile Jars a été très endommagé par les bombardements. Il fut reconstruit quelques années plus tard, puis divisé en deux parties, dont l’une fut habitée après la première guerre mondiale par le célèbre professeur Leriche.
Mais revenons-en au quartier du Tivoli qui, à la suite de la guerre, semble définitivement acquérir son nom. En effet, au Tivoli, la brasserie Gruber a ouvert un restaurant, haut lieu gastronomique, très fréquenté par la bourgeoisie, mais aussi par les étrangers en visite à Strasbourg. Le parc entourant le restaurant est agrémenté de différentes attractions, carrousels, balançoires, jeux de quilles et même un rocher d’escalade, pour le plus grand plaisir des enfants. Derrière le restaurant se trouve une très grande salle avec une scène spacieuse, un parterre, des balcons, le tout amplement décoré à la mode de l’époque, et pour- vue d’une maquette de Zeppelin accrochée au plafond. On y a accueilli des banquets, des fêtes de toute sorte, des bals organisés par les sociétés sportives et culturelles, des réceptions, des concerts …. Un kiosque à musique accueillait également des concerts en plein air.
Alors qu’en 1878, une grande partie des terrains du Tivoli avaient été expropriés par l’administration militaire allemande pour l’extension des remparts, les propriétaires d’alors, principalement la famille Schutzenberger, ont finalement été autorisés à utiliser une partie des terrains pour la construction d’immeubles d’habitation résidentiels, mais avec des conditions strictes :
- les constructions ne pourront être que des villas avec rez-de-chaussée, un étage et des mansardes
- interdiction d’y exploiter une auberge ou tout autre métier ou commerce
Ces ventes constituent l’acte de naissance du quartier du Tivoli et engendrent la création des rues telles que nous les connaissons encore aujourd’hui.
Les constructions ont été réalisées principalement entre les années 1900 et 1918. Après la fin de la première guerre mondiale, on peut noter la disparition des fortifications séparant le Tivoli et la ville et du restaurant créé par le brasseur Gruber, laissant place en 1939 au parc du Tivoli.
Depuis lors, le quartier n’a pas beaucoup évolué, preuve de la qualité de vie y régnant. Par contre son environnement immédiat a considérablement changé, à commencer par le Lycée Kléber, le groupe scolaire Branly, la maison de la radio, le Palais des Congrès, le parc des expositions du Wacken, puis les différents bâtiments du Conseil de l’Europe et du Parlement Européen, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le Conseil Régional, le siège d’Arte, le Théâtre du Maillon… Le quartier est ainsi ouvert aux visiteurs venant aux manifestations du Palais des Congrès et de la Musique, aux expositions du Wacken, aux spectacles de la maison de la radio et de la télévision, ou pour assister aux sessions du Parlement Européen… Visites à l’occasion desquelles ils peuvent apprécier le soin que les habitants du quartier ont mis à la préservation du patrimoine…
2 réflexions sur « Histoire du quartier du Tivoli à Strasbourg »
Madame, Monsieur,
Je fais une recherche sur les femmes peintres alsaciennes, élèves de Lothar von Seebach. Parmi elles, Marga Bretzl (1884-1967) a habité une trentaine d’années 8a rue Tivoli à Strasbourg.
Savez-vous si je peux trouver des informations sur l’immeuble ou la maison dans le livre d »Eric Stumm : « Le Tivoli »? Si oui, où puis-je me le procurer?
Par avance, je vous remercie de l’intérêt que vous porterez à ma demande.
Bien cordialement.
Michelle Jacquemot
Le livre du Tivoli a été réédité il y a quelques années et enrichi de nombreuses photographies et de documents. Il n’en reste plus beaucoup, mais vous pouvez me contacter au 06 16 35 30 99. Philippe JOBERT.